Les
langues nationales du Pakistan
Ce
pays de 163 millions d'habitants compte deux provinces importantes au
point de vue de la population. En effet, les provinces du Penjab (82,5
millions d'habitants) et du Sind (22,2 millions) comptent pour 76 % de
la population du pays.
Le
Pakistan compte près de 80 langues. Les plus importantes,
celles parlées par plus d'un million de locuteurs, sont pour
la plupart des langues indo-iraniennes : le penjabi de l'Ouest
(37 %), le sindhi (9,3 + 2,7 + 1,8 = 13,8 %), le penjabi du Sud ou
aaraiki (9,4 %), le sindhi (9,3 %), le pashtou du Nord (7,6 %),
l'ourdou (7,1 %), le pashtou du Sud (3,9 %), le hindko (3,8 %), le
pashtou de l'Est (3,6 %), le baloutchi de l'Est (1,8 %), le brahui (1,6
%), le baloutchi du Sud (1,5 %), le pashtou du Centre (1 %), le penjabi
de l'Est (1 %), l'ouzbek du Sud (0,7 %), le baloutchi de l'Ouest (0,6
%). De ces langues, le brahui est une langue dravidienne et l'ouzbek
une langue altaïque. On compte aussi un grand nombre de
petites langues indo-iraniennes, quelques rares langues
sémitiques, altaïques et
sino-tibétaines. Citons aussi une langue rarissime, le
bouroushaski, un isolat linguistique unique au monde. Parmi toutes les
langues, les variétés de penjabi rassemblent
près de 48 % des locuteurs du pays. Pourtant, c'est l'ourdou
(7,1 %) qui est devenu l'une des langues co-officielles avec l'anglais,
la langue de l'ex-colonisateur. Il n'y a pas d'anglophones
indigènes au Pakistan, mais juste 12 000 Britanniques. Cela
dit, toutes les élites instruites et cultivées
savent parler et écrire l'anglais.
Les langue nationales
régionales
Dans
la province du Penjab, le penjabi est la principale langue
parlée (avec le saraiki), tout en demeurant la langue la
plus utilisée comme langue maternelle au Pakistan.
Dans
la province du Sind, 23 millions de locuteurs (sur 34 millions), soit
70 %, parlent le sindhi, ce qui a pour effet de rendre cette langue
co-officielle avec l'ourdou dans cette
région.
Dans
la province du Baloutchistan, le baloutchi, le pashtou et le brahui
demeurent généralement les langues d'usage, mais
l'ourdou est la langue officielle.
Dans
la province de la Frontière du Nord-Ouest, le baloutchi et
le pashtou sont les langues principales; encore aujourd'hui, certains
demandent que le pashtou soit déclaré co-officiel
avec l'ourdou, mais jusqu'ici cette demande est demeurée
sans réponse et seul l'ourdou a acquis le statut de langue
officielle.
Dans
l'Azad-Cachemire, territoire contrôlé par le
gouvernement fédéral, c'est le kashmiri qui est
principalement utilisé, même si l'ourdou reste la
langue officielle. L'ourdou est parlé partout comme langue
seconde, même s'il ne s'agit que de 7,1 % de la population du
Pakistan qui le parle comme langue maternelle. Toutes les langues
minoritaires sont très anciennes et restent encore
très fortes à l'oral dans le pays.
En
général, c'est l'analphabétisme de
leurs locuteurs qui «tue» ces langues
régionales plutôt que leur statut de minoritaire.
Depuis la partition de 1947, les langues écrites comme le
panjabi, le pashtou, le baloutchi, le brahui, le saraiki, etc., ont
perdu beaucoup de leur importance. Seuls le sindhi et l'ourdou se sont
maintenus.
Par
ailleurs, on peut se demander comment il se fait que, de toutes les
langues régionales, seul le sindhi a acquis un prestige et
un statut différent des autres langues (baloutchi, penjabi,
pashtou, etc.). Le sindhi est, en effet, la seule langue
régionale a avoir acquis un statut officiel
reconnu à la fois par le gouvernement
fédéral et la Constitution. Ceci est dû
au fait que le chef du gouvernement fédéral
(Zulficar Ali Bhutto), au moment de la promulgation de la Constitution
de 1973, était un Sindhi et jouissait d'une
popularité exceptionnelle dans tout le pays. Il
était aisé pour lui de favoriser sa langue et sa
province d'origine.
Ce
fait illustre qu'au Pakistan il y a une
«ethnicisation» de la politique en
général. Ainsi, dans la province du Sind, les
Sindhis ont peur de perdre leur majorité
démographique depuis l'arrivée massive des
immigrants musulmans venus de l'Inde et des autres provinces
pakistanaises. Les «étrangers» sont
très mal acceptés et des problèmes
ethniques surviennent, notamment à Karachi, la capitale du
Sind. Dans toutes les autres provinces, seul l'ourdou est reconnu comme
langue officielle.
L'unité
nationale et l'ourdou
Quant
à l'ourdou, il constitue l'une des 12 langues les plus
importantes du sub-continent indien avec l'hindi. L'ourdou et l'hindi
ne forment en réalité qu'une seule et
même langue, mais l'hindi s'écrit avec l'alphabet
dévanâgari et l'ourdou avec l'alphabet arabe. Ce
sont des raisons religieuses et politiques qui ont favorisé
cette répartition: les Pakistanais sont musulmans et
voulaient se distinguer des Indiens à majorité
hindoue.
Avant
le XIXe siècle,
l'hindi et l'ourdou n'existaient même pas, ils se sont
formés au cours du XIXe siècle dans
le nord de l'Inde par des soldats et commerçants qui
tentaient de trouver une langue de communication commune. D'ailleurs,
à cette époque, on ne parlait que d'hindoustani
en se référant à la langue commune qui
allait donner naissance, à la suite de tensions de plus en
plus fortes entre les communautés musulmane et hindouiste,
à l'ourdou et à l'hindi. En 1947, l'ourdou est
devenu la langue officielle du Pakistan, l'hindi, celle de l'Inde.
Les
différences entre les deux langues ne sont pas seulement
d'ordre de l'écriture (alphabet
dévanâgari pour l'hindi et alphabet arabe pour
l'ourdou) mais aussi d'ordre culturel. Elles reflètent des
divergences religieuses et politiques, dans la mesure où
l'ourdou est associé à l'islam et l'hindi
à l'hindouisme. Depuis la partition de 1947, les
différences entre les deux langues ont tendance à
s'accuser et à se transposer sur le plan lexical, notamment
au niveau de la création néologique. Ainsi,
l'hindi tend de plus en plus à avoir recours au sanscrit, la
langue mère, pour former de nouveaux mots. De son
côté, l'ourdou aurait tendance à se
«purifier» et à emprunter largement au
persan, lui-même largement imprégné
d'emprunts arabes. Ce fonds persan est resté très
longtemps productif en hindoustani sous la domination britannique, mais
est délaissé de plus en plus par l'hindi depuis
la partition.
Le
choix de l'ourdou comme langue officielle
Étant
donné que le Pakistan est aux prises avec de multiples
tensions sécessionnistes découlant des nombreuses
ethnies composant le pays, la tâche principale des
gouvernements pakistanais, par ailleurs souvent
contrôlés par les Ourdous et les Sindhis, a
toujours été de promouvoir l'unité
nationale constamment menacée. C'est pour cette raison que
l'ourdou a été choisi comme instrument de
l'unité nationale, d'autant plus que cette langue jouissait
d'un grand prestige (avec l'hindi), qui lui venait de son statut en
Inde, et possédait une tradition écrite
très développée. En fait, l'ourdou
était déjà, au moment de la partition,
une langue supra-ethnique et un véhicule linguistique
perfectionné et développé.
En
1947, il était impensable de songer à un
multilinguisme officiel au Pakistan étant donné
le grand nombre de langues alors qu'aucune n'était
majoritaire à l'échelle du pays. De plus, il
était impossible de «venir à
bout» des langues nationales parlées par des
millions de locuteurs. La solution la plus sage a semblé de
conserver l'anglais comme langue officielle, statut dont cette langue
s'était fort bien acquitté jusque là.
C'est pourquoi la Constitution de 1973, suspendue puis
restaurée en 1985 (mais suspendue à nouveau en
2001), semble permettre le multilinguisme. En effet, l'article 28
déclare ce qui suit:
Article 28
Sous
réserve de l'article 251, tout groupe de citoyens ayant une
langue, une écriture ou une culture distinctes aura le droit
de les préserver et d'en faire la promotion et, sous
réserve de la loi, de fonder des établissements
à ces fins.
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Cependant,
deux langues seulement sont prévues pour être
utilisées à des fins officielles: l'ourdou,
parlé par 7,5 % de la population, et l'anglais, la langue de
l'ancien colonisateur. Autrement dit, de toutes les langues nationales
du pays, c'est l'ourdou qui a été choisi
à des fins officielles. Ainsi, on peut lire à
l'article 251:
Article 251
1) La langue
nationale du Pakistan est l'ourdou, et des dispositions seront prises
pour qu'elle soit utilisée aux fins officielles et
à d'autres fins dans les 15 années qui suivent la
date de la promulgation.
2) Sous
réserve du paragraphe 1), la langue anglaise pourra
être utilisée à des fins officielles
jusqu'à ce que les dispositions nécessaires aient
été prises pour qu'elle soit remplacée
par l'ourdou.
3) Sans qu'il
soit porté atteinte au statut de la langue nationale, une
assemblée provinciale peut, par une loi, prendre des
dispositions pour enseigner, promouvoir et utiliser une langue
provinciale en plus de la langue nationale.
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On
constatera que le paragraphe 3 laisse entendre qu'il est possible de
rendre co-officielle une autre langue en plus de l'ourdou dans une
province. Pour le moment, seule la province du Sind dans le Sud-Est a
pu se prévaloir de cette disposition. En effet, dans le
Sind, l'ourdou et le sindhi sont les langues co-officielles de la
province. Dans les autres provinces, seul l'ourdou
bénéficie du statut de langue officielle.